Les patients atteints d’Encéphalomyélite Myalgique demandent que justice soit faite
Ce qui suit est une traduction de l’article « Time for Unrest: Why patients with ME are demanding justice » publié dans le journal anglais Independent. Dans ce travail journalistique conséquent, la journaliste Nathalie Wright documente l’histoire de l’EM/SFC et les diverses controverses et débats politiques entourant la maladie.
Un nouveau film fait la lumière sur une maladie largement ignorée. Nathalie Wright rapporte les obstacles auxquels les patients doivent faire face pour être pris au sérieux par la communauté médicale.
“Je me sens compris pour la première fois!” exalte un spectateur. “Je sens que mon combat est justifié. Je comprends enfin ce qui ne va pas chez moi, je pense que j’en ai souffert toute ma vie,” dit un autre. Un médecin admet, “j’ai tellement honte”.
Le film en question est Unrest, un documentaire dirigé par Jennifer Brea, une ancienne étudiante en doctorat à l’université d’Harvard aux USA qui, après avoir développé l’encéphalomyélite myalgique, a commencé à filmer son expérience. Ceux qui ne sont pas directement affectés par la maladie ont probablement été confrontés à un moment ou un autre aux nombreux stéréotypes qui ont proliféré dans les médias britanniques: l’EM est “la grippe des youpins”; c’est une maladie de personnes fainéantes ou de personnalités hyperactives, tire-au-flancs, femmes hystériques, activistes militants, profiteurs, voire mêmes de personnes qui sont “un peu fatiguées” et “n’ont pas envie d’aller travailler aujourd’hui” (selon un sketch du comédien Ricky Gervais). Pour la première fois, un documentaire majeur répond à des décennies de désinformation et montre ce que les médecins ne voient pas: le quotidien des patients, qui sont au nombre de 260 000 en Angleterre.
Unrest suit Brea quand elle tombe malade pour la première fois après une fièvre de 40°. L’année suivante, elle souffre d’infections répétées et son état de santé se détériore dramatiquement. Mais les médecins ne la prennent pas au sérieux – un état des lieux confirmé par de nombreuses jeunes femmes ignorées par le système médical. Quand elle obtient enfin un rendez-vous avec un neurologue, il lui pose un diagnostic de “trouble de conversion”. Une nouvelle appellation pour l’hystérie. Elle aurait probablement souffert d’un traumatisme dont elle ne se souvient même pas. Elle n’aurait aucun problème physique qui pourrait causer ses symptômes. Alors, à la sortie du rendez-vous, Brea a décidé de faire les 3km jusqu’à chez elle à pieds – après tout, puisque c’est dans sa tête, ça ne peut pas lui faire de mal. En arrivant chez elle, son cerveau et sa colonne vertébrale étaient en feu. Elle est alitée en permanence les deux années suivantes et maintenant, quelques années plus tard, elle est en chaise roulante.
Après avoir enfin reçu le diagnostic d’encéphalomyélite myalgique, Brea a pu accéder à quelques traitements aux Etats-Unis où elle réside, mais il n’existe pas actuellement de traitement curatif. Comme pour la plupart des patients, sa maladie s’est déclenchée après un épisode infectieux. Ses symptômes incluent un épuisement profond (complètement différent d’une “fatigue” commune), des douleurs chroniques extrêmes et une aggravation des symptômes après un effort même léger – un symptôme nommé “malaise post-effort” ou PEM (post-exertional malaise). L’EM, comme les maladies autoimmunes, affecte principalement les femmes et se développe souvent dans la fleur de l’âge, même si elle affecte également les enfants. En effet, c’est la cause principale d’absence médicale prolongée dans les écoles en Angleterre. Depuis 1969, l’Organisation Mondiale de la Santé reconnait l’EM comme une maladie neurologique même si ses mécanismes précis restent inconnus.
Le film présente également les histoires d’autres patients. Jessica, une jeune femme britannique, a passé 4 années depuis l’âge de 14 ans dans un état de semi-coma dans un lit d’hôpital à cause de l’EM. Son état s’est légèrement amélioré depuis mais elle est restée clouée au lit si longtemps que ses pieds n’ont pas touché le sol pendant plusieurs années, durant lesquelles elle a grandi de 10cm. “Je n’ai jamais eu l’occasion de voir à quel point j’ai grandi,” elle explique. En contraste, un patient très sévèrement atteint, Whitney, est complètement incapable de parler. Il est si sensible aux stimulations qu’il est dangereux pour lui d’avoir d’autres personnes dans la même pièce. Il est nourri via un tube connecté à son intestin grêle, et passe sa vie dans la pénombre et le silence, incapable de tolérer le son ou la lumière.
Ces histoires de souffrances physiques extrêmes ne représentent pas, cependant, la partie la plus choquante du documentaire. Le constat qui a engagé un mouvement de justice global est que de nombreux médecins refusent encore d’accepter le simple fait que l’EM existe.
En 1955 à Londres a eu lieu une épidémie locale d’une mystérieuse maladie dans l’équipe du Royal Free Hospital à Hampstead. On estime que 292 personnes ont été affectées, dont la majorité étaient de jeunes infirmières. Les investigations pathologiques ont révélé une inflammation du cerveau et de la moelle épinière, mais les causes restent inconnues. La dénomination “encéphalomyélite myalgique”, ou EM, est posée pour refléter les douleurs musculaires sévères des patients et les données suggérant des dommages au niveau du système nerveux. En 1970, deux psychiatres, Colin McEvedy et AW Beard, ont publié un papier qui a eu une profonde influence sur l’histoire de l’EM. Les auteurs y déclaraient que la maladie était “un cas d’hystérie de masse”, citant le fait que la plupart des personnes affectées étaient de jeunes femmes. Les deux auteurs n’avaient vu aucun patient en consultation.
Jessica Taylor, alitée avec une EM sévère depuis qu’elle a 15 ans, se fait maquiller par sa soeur (Shella Films)
A la suite de ce rejet total, les patients ont souffert d’un autre coup dur: la définition d’un nouveau nom. Aux Etats-Unis, la notion de “syndrome de fatigue chronique” ou SFC a été introduite en 1988, puis adoptée par l’Angleterre. Non seulement ce nouveau nom trivialisait la maladie, il était également trop vague pour distinguer l’EM d’autres maladies engendrant un état de fatigue, ce qui veut dire que plusieurs maladies causant un état de fatigue se sont retrouvées inutilement regroupées.
Pour les patients, communiquer la sévérité de leur maladie est souvent impossible. “J’ai du essayer de mettre des mots sur mes symptômes pour les médecins pendant 18 mois alors que mon état se dégradait,” explique Brea. “Je parlais de cette sensation de feu dans mon cerveau et ma colonne vertébrale, ou le fait que par moments je ne pouvais plus parler et que parfois je m’effondrais au sol et ne pouvais plus relever la tête.” Quand elle a plus tard demandé à obtenir son dossier médical, elle a remarqué que presque tous ces symptômes sérieux y étaient retranscrits en “maux de têtes”.
Des explications psychosomatiques de la maladie ont été développées par un petit groupe influant de psychiatres en Angleterre. Ils ont développé une théorie de l’EM basée sur le “modèle biopsychosocial” de maladie, un modèle qui a également été adopté par le Département pour le Travail et les Pensions (Department for Work and Pensions, DWP), avec le soutien du parti politique New Labour. Le modèle biopsychosocial soutient que toutes les maladies ont des éléments biologiques, psychologiques, et sociaux. Cette idée semble partir du bon sens, mais en pratique c’est souvent les éléments psychologiques qui sont soulignés. Ainsi, le modèle “biopsychosocial” de l’EM est qu’un patient peut avoir eu un épisode viral initial, mais après celui-ci, les symptômes ne sont pas du tout le résultat d’une maladie. Au lieu de ça, les patients auraient simplement des croyances maladives “fausses” ou “dysfonctionnelles” et adoptent en conséquence le “rôle de malade”. Le fait qu’ils passent trop de temps alités devient alors l’explication de leurs anomalies physiques, car ils seraient déconditionnés à cause d’un “évitement de l’exercice”, et le modèle soutient que ces symptômes sont réversibles par les efforts du patient lui même.
Cependant, les données actuelles suggèrent qu’une telle approche envers l’EM est non seulement erronée, mais dangereuse. Keith Geraghty, chercheur honoraire à l’université de Manchester et expert en EM/SFC explique: “De nombreux professionnels de la santé ne voient pas l’EM/SFC comme une condition sérieuse. Des psychiatres en Angleterre ont causé d’importants dommages aux patients atteints d’EM/SFC en promouvant un modèle largement psychologique de la maladie et en détournant les financements de la recherche, empêchant les investigations sur les nombreuses anomalies biologiques dans la maladie; ce modèle a minimisé la sévérité de la maladie.”
Les deux approches thérapeutiques qui sont nées de ce modèle psychiatrique sont la thérapie cognitivo-comportementale (cognitive behavioral therapy, CBT) et la thérapie par exercice graduel (gradual exercise therapy, GET). Actuellement, ce sont les deux seuls traitements offerts par le NHS (National Health Service) aux patients atteints d’EM/SFC. Certains psychiatres poussent cette théorie à l’extrême et estiment que les patients – y compris les enfants – doivent être admis dans un service psychiatrique, même contre leur gré et contre l’avis de leurs parents. Unrest présente l’histoire d’une jeune femme danoise sévèrement malade, Karina Hansen, qui a été enlevée de son domicile par cinq policiers et admise dans un service psychiatrique. Sa famille n’a pas été informée d’où elle allait être placée. Elle n’était pas autorisée à voir d’autres médecins que des psychiatres. Trois ans après avoir été placée, elle a finalement été autorisée à retourner à son domicile; elle est toujours sévèrement malade. En Angleterre, les psychiatres font parfois appel aux services de protection de l’enfance pour forcer des traitements psychiatriques sur les enfants atteints d’EM/SFC et des centaines de familles ont fait l’objet d’investigations pour abus ou négligence, mais les autorités de la santé ne fournissent pas de chiffres officiels. Un organisme de charité, Tymes Trust, a conseillé 200 familles dans cette situation. Aucune de ces familles n’a été mise en cause à la suite de ces investigations.
Robert avait 12 ans quand il a commencé la thérapie par exercice graduel (GET). Sa mère, Lorraine, a contacté The Independant pour expliquer comment la physiothérapie du NHS qu’on lui a demandé d’effectuer a dramatiquement affecté son état de santé. “Robert était modérément malade quand la physiothérapie a commencé, mais est devenu sévèrement malade et contraint d’utiliser une chaise roulante après quelques mois. On lui a donné des exercices de balnéothérapie à faire, certains impliquant de la natation. Après seulement quelques mois, il ne pouvait plus marcher. Ses jambes sont devenues trop faibles, il avait des douleurs sévères, particulièrement derrière les genoux, et il ne pouvait plus supporter son propre poids.
“Le kiné refusait d’accepter qu’il lui faisait du mal et rejetait la faute sur mon fils, l’accusant de ne pas faire assez d’efforts, disant qu’il ne voulait pas guérir ; ils ne voulaient pas accepter qu’il avait un problème physique.
“Il a eu une crise à la piscine où ils lui faisaient faire les exercices, le neurologue a plus tard conclu que c’était causé par des douleurs extrêmes. Nous avons du demander à un organisme de charité d’intervenir pour qu’il puisse arrêter la thérapie. Mon fils a maintenant 21 ans et est sévèrement malade et confiné à domicile.”
L’histoire de Robert est loin d’être unique, cependant le NHS ne garde pas de chiffres sur les dégâts causé par la thérapie par exercice graduel pour l’EM.
Le modèle biopsychosocial, et la théorie selon laquelle les patients atteints de conditions comme l’EM guériraient s’ils adoptaient la bonne attitude et le bon comportement, semble attrayante pour les politiciens cherchant à limiter le coût des pensions d’invalidité. “Les pensions d’invalidités peuvent souvent aggraver l’état des patients [atteints d’EM]” revendique le psychiatre Simon Wessely, un des auteurs du modèle biopsychosocial de l’EM, en 1993 lors d’un meeting avec un ministre spécialisé dans l’invalidité. Si verser des pensions d’invalidité aux patients, comme ceux atteints d’EM, est vu comme favorisant une culture de dépendance, alors stopper ces versements peut être présenté comme une intervention positive. Selon un document faisant la promotion du modèle biopsychosocial circulé par Lord Freud, l’ancien ministre de la réforme de l’aide sociale, il est important pour les patients atteints de maladies comme l’EM de “reconnaître que le rôle de malade est temporaire, en attente d’une guérison” et que verser des pensions d’invalidités à ces patients pourrait favoriser une culture de dépendance.
Cependant, de sérieux problèmes ont été identifiés dans la recherche prétendant démontrer que l’approche biopsychosociale de l’EM peut guérir les patients. En 2011, la controverse autour de ces traitements atteint un point culminant quand les résultats d’un essai clinique – le PACE Trial – sont publiés. L’essai clinique a coûté 5 millions de livres et a été financé en partie par le Département pour le Travail et les Pensions (DWP); le but de l’essai clinique était d’évaluer l’efficacité de la thérapie par exercice graduel (GET) et la thérapie cognitivo-comportementale (CBT) pour l’EM. Les auteurs estimaient que l’essai clinique était un succès et que les traitements testés étaient “modérément efficaces”. Cependant, l’essai clinique fait l’objet de sévères critiques, en particulier à l’étranger, par le biais d’une lettre ouverte signée par 100 experts appelant à la rétraction d’une des publications majeure de l’essai clinique. Une des critiques faites envers l’essai clinique était que la définition de “guérison” était si large que mêmes si les patients rapportaient un état de santé détérioré par rapport au début de l’essai sur les deux mesures principales, les auteurs pouvaient quand même les considérer comme “guéris”. Les mesures objectives de l’état de santé des patients, elles, ne montraient pas d’amélioration clinique, mais les auteurs ont minimisé l’importance de celles-ci dans leurs papiers.
Whitney Dafoe est sensible aux stimuli auditifs et a perdu l’usage de la parole (Shella Films)
Après un long combat légal engagé par les patients, les scientifiques à l’origine de l’essai clinique ont été contraints de fournir les données de celui-ci. Les réanalyses ont établi que l’essai ne montre aucune différence statistique entre les différents traitements offerts : un résultat nul. Elles montrent également que les taux de guérisons précédemment rapportés ont été volontairement exagérés (4 fois plus élevés que ce que les données suggèrent). Les auteurs de l’essai clinique maintiennent cependant que celui-ci montre que les thérapies CBT et GET sont modestement efficaces.
Comme les critiques le soulignent de plus en plus, les problèmes autour du PACE vont bien au-delà de la “mauvaise science”. Un rapport de 2006 par le Groupe Parlementaire sur la Recherche Scientifique sur l’Encéphalomyélite Myalgique a déjà souligné qu’ ”il y a un intérêt acquis pour les compagnies privées d’assurance médicale à s’assurer que l’EM/SFC reste classifiée comme maladie psychologique”. Le rapport mentionne également des cas où des consultants pour le DWP travaillaient également comme consultants pour ces mêmes compagnies. Ces liens supposés ont été également examinés par le Centre pour la Réforme Sociale (Centre for Welfare Reform) qui déclarait en 2016 que: “Insister sur l’importance de facteurs psychologiques et classer l’EM comme problème de santé mentale pourrait apporter des bénéfices financiers immédiats aux compagnies d’assurances, sachant que les politiques en places limitent les versements liés aux problèmes de santé mentale.”
Unum est le plus gros assureur d’invalidité à la fois aux USA et en Angleterre, et selon le Centre pour la Réforme Sociale celui-ci met régulièrement la pression sur le gouvernement pour promouvoir les intérêts les compagnies d’assurance de santé privées. Un rapport interne d’Unum sur le “SFC” soutient que la compagnie pourrait “perdre des millions si nous n’agissons pas rapidement pour régler ce problème croissant”. Le rapport soutient que les demandes liées au SFC devraient être prises en charge “plus agressivement et de manière proactive plutôt que réactive” et tente de présenter l’EM comme “la névrose avec un nouveau nom”. Quatre des auteurs du PACE trial ont révélé qu’ils avaient des conflits d’intérêt avec l’industrie de l’assurance.
Alors même que la communauté scientifique internationale exprimait son inquiétude vis à vis de l’essai clinique, les médias britanniques continuait à le promouvoir comme un succès majeur. Plus tard, les résultats des questionnaires de suivi des participants au PACE, qui évaluaient l’effet des traitements deux ans après le début de l’essai clinique, sont tombés. Ceux-ci montraient que les participants qui avait reçu les thérapies CBT et TEG rapportaient des résultats identiques à ceux qui n’avaient pas reçu ces traitements. Malgré ces résultats, le journal The Telegraph déclarait en première page que “L’exercice et la positivité peuvent venir à bout de l’EM”. La Comtesse de Mar a pointé du doigt la promotion de l’essai clinique faite par le Science Media Centre, qui est à l’origine de ces titres dans les journaux, et le fait que Simon Wessely est membre de l’administration de cette organisation.
Dans les médias, les patients étaient pointés du doigt comme de dangereux militants pour leurs critiques de l’essai clinique, même s’il est maintenant avéré que celles-ci étaient justifiées. Le tribunal qui a ordonné la diffusion des données de l’essai clinique a établi que “les estimations de comportements activistes sont, de notre point de vue, grossièrement exagérées”. Les patients les plus sévèrement atteints (près d’un quart des patients sont alités ou confinés à domicile) continuent à ne recevoir aucune prise en charge, 80% des demandes de visites à domicile étant rejetées par le NHS. En addition, la disparition des services sociaux et la difficulté à obtenir des pensions d’invalidité font que de nombreux patients sont laissés dans un état de désespoir et parfois sans aucun soutien, leurs familles choisissant de ne pas croire à la maladie. Le gâchis de potentiel humain causé par l’EM a été évalué récemment à 3.3 milliards de livres par an pour l’économie Anglaise, dans un rapport par la fondation The Optimum Heath Clinic.
Outre-atlantique, aux Etats-Unis, la recherche avance. En 2013 le gouvernement américain a demandé à l’Institut de Médecine (Institute of Medicine, IoM) de convoquer un comité d’experts pour examiner les données disponibles sur l’EM. Deux ans plus tard, leur rapport “Redéfinir une maladie” a été publié. Le rapport établi que l’EM est “une maladie acquise, chronique et multi-systémique, de nature biologique”, dont les symptômes incluent “des déficiences immunitaires, neurologiques et cognitives”. Après avoir passé en revue des milliers d’études, le rapport “souligne qu’il s’agit là d’une condition médicale – et non psychiatrique ou psychologique”.
Le rapport souligne que les données disponibles suggèrent qu’ “un effort de n’importe quelle sorte peut affecter négativement le fonctionnement de plusieurs organes et de nombreux aspects des vies des patients, souvent sévèrement et sur de longues périodes”. Prenant en compte ce fait et la controverse autour de l’essai clinique PACE, les agences gouvernementales américaines de la santé ont supprimé leurs recommandations des thérapies GET et CBT.
Ces dernières années, des études ont démontré que les patients atteints d’EM présentent des dysfonctionnements immunitaires, neurologiques et autres dysfonctionnements systémiques. Les chercheurs ont relevé des niveaux anormaux de métabolites et protéines dans le sang, montrant que les patients se trouvent dans un état hypométabolique, ayant pour conséquences un métabolisme ralenti, et une incapacité des cellules à produire de l’énergie. Les relevés d’une inflammation neurologique et systémique (et le fait que la maladie touche plus souvent les femmes) orientent les chercheurs vers une vision de l’EM comme maladie autoimmune. Des données suggérant une déficience immunitaire sont régulièrement publiées depuis 1990, et plus récemment de nombreuses études ont montré un dysfonctionnement des cellules NK (Natural Killer Cells); des cellules qui aident à contrôler les infections virales. La recherche scientifique sur l’EM, cependant, n’en est encore qu’à ses débuts. Des études supplémentaires sont nécessaires pour identifier une cause et développer des traitements.
Le Professeur Ron Davis, un des plus éminents scientifiques spécialisés dans l’EM aux USA, travaillait auparavant dans le domaine du génome humain. Il est maintenant à la tête d’un groupe de scientifiques, incluant 3 lauréats au prix Nobel, pour travailler sur “un des domaines les plus urgents de la médecine moderne”. Il est également le père de Whitney Dafoe, le jeune homme sévèrement atteint qui apparaît dans le film Unrest.
Une manifestation ‘Millions Missing’ en 2016. La manifestation a eu lieu simultanément dans plusieurs villes dans le monde
“Il s’agit d’une maladie bien plus sérieuse que la plupart des affections dont les gens s’inquiètent. Elle est plus commune que la sclérose en plaques, la maladie de Parkinson, et le SIDA. C’est probablement la dernière maladie majeure dont on sait si peu. Et la nature même de cette maladie est la raison pour laquelle elle a été ignorée. Les patients en état sévère sont souvent coincés chez eux, pris en charge par leurs proches et personne ne sait qu’ils existent. Mais la maladie peut devenir très sévère, des chercheurs ont essayé de relever des mesures en termes d’invalidité, et elle est généralement vue comme plus impactante que beaucoup d’autres maladies sérieuses en termes de qualité de vie.”
Les patients atteints d’EM ont toujours dû se battre pour leurs droits, mais avec la prolifération des réseaux sociaux, ceux d’entre eux qui sont alités sont maintenant en mesure de se connecter globalement, et un mouvement de justice sociale est né sous le hashtag Twitter #MillionsMissing.
Selon Jennifer Brea, les activistes de l’EM peuvent tirer beaucoup de leçons de l’histoire. “Pour combattre la stigmatisation et forcer la reconnaissance par le système de santé, nous avons besoin d’un mouvement pour l’accès au traitement, la prise en charge et la recherche. Les mouvements pour le SIDA ont permis d’extraordinaires avancées en l’espace d’une décennie. C’est ce dont nous avons besoin. Il s’agit de reprendre le contrôle de nos corps et de nos expériences; adopter un comportement de fierté envers nous-mêmes et envers les autres.”
Et le mouvement prend de l’élan. En Angleterre, le NHS a annoncé qu’il allait complètement réévaluer ses recommandations pour l’EM, sur la demande des patients et de la communauté scientifique. La recherche sur les causes biomédicales s’agrandit, mais les financements restent difficiles à obtenir à travers le monde. “C’est 30 années gâchées, ce qui représente une lourde perte en termes de recherche. On aurait pu découvrir les causes de l’EM durant cette période,” selon le chercheur Keith Geraghty.
Historiquement, les patients atteints d’EM ont été exclus des mouvements pour les droits des handicapés en Angleterre et n’ont pas eu les ressources nécessaires pour pousser le gouvernement à changer ses politiques, mais les activistes pour les droit des handicapés et pour l’EM sont en train de se regrouper, s’unissant sous le même slogan: “Rien à propos de nous sans nous”.
“Les activistes de l’EM sont affligés et en colère car notre réalité a été rejetée par presque tout le monde autour de nous,” explique Catherine Hale, une activiste de l’EM et la directrice du projet Chronic Illness Inclusion. “Le rejet de nos témoignages est profondément bouleversant, et il n’est pas rare de développer un syndrome de stress post-traumatique en résultat. C’est une forme d’abus. Il y a quelque chose de profondément oppressant dans une approche de traitement qui nuit aux patients tout en essayant de les convaincre que leur maladie est causée par leur état d’esprit. En tant que patients, nous sommes complètements isolés et trop malades pour sortir de chez nous et protester, c’est pourquoi le projet “Millions Missing” n’en est encore qu’à ses débuts, car nous partons de très loin.”
Adam Lowe, un auteur et journaliste atteint d’EM demande également des comptes. “Une des idées fausses les plus répandues à propos des patients atteints d’EM est que nous nous opposons à la psychiatrie et que nous rejetons toutes les formes de traitement qui suggèrent une cause psychologique même partielle de la maladie. C’est un autre mythe qui doit être combattu. Je crois en l’importance d’une prise en charge adéquate de la santé mentale pour tout le monde comme la plupart des patients atteints d’EM.
“Nous vivons avec cette maladie dans le noir, invisibles dans nos chambres, attendant désespérément des réponses. Nous ne pouvons pas obtenir une prise en charge adéquate car les ressources limitées du gouvernement sont engagées dans de longues études inutiles confondant fatigue chronique avec la maladie neuro-immunitaire spécifique EM. Ils continuent à nous nuire et à nous insulter, de la même manière que les mouvements LGBT et anti-racistes ont été attaqués, dénigrés et insultés sur des décennies. Ils sont institutionnellement discriminatoires envers les handicapés de la même manière que la police de Londres a été institutionnellement raciste dans l’enquête sur le meurtre de Stephen Lawrence [Stephen Lawrence était un jeune homme britannique qui a été assassiné lors d’une attaque à motivation raciste en 1993. L’enquête sur son meurtre a fait le sujet de nombreuses polémiques en Angleterre]. La seule différence est que nous mourrons dans le silence, cachés dans le fond de nos maisons, à cause de l’absence de prise en charge et de traitement efficace. Personne ne nous voit, alors nos cris sont confinés à ceux d’entre nous qui connaissent déjà nos souffrances – ceux qui sont atteints par cette maladie, et ceux qui nous aiment et s’occupent de nous.”
“A la fin, je le crois, la petite cabale de personnes à l’origine des narratives médicales et sociales négatives à propos de l’EM devront se réveiller et présenter leurs excuses pour les dommages qu’ils ont causé à des centaines de milliers de personnes – tout comme les représentants de la psychiatrie qui ont récemment présenté leurs excuses aux communautés LGBT. L’histoire ne leurs fera pas honneur, car je crois sincèrement que la justice triomphera.”
Unrest est récemment entré dans la pré-liste de nomination aux Oscars. L’avantage d’un film documentaire est que les spectateurs y sont confrontés à ce qu’ils ne voient pas – ou ce qu’ils ignorent; c’est un média qui retranscrit ce que de simples mots ne peuvent pas décrire. Peut-être que les patients atteints d’EM commencent enfin à être vus.